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Communautés en ligne et responsabilités  (26 décembre 2002)

Septembre 2000

Internet n’est pas une zone de non droit. C’est une banalité qui ne l’était pourtant pas il y a encore quelques mois. Cela veut dire d’une part que les principes de responsabilité s’appliquent. Cela veut dire d’autre part que des condamnations peuvent être prononcées.

Les tribunaux français ont eu l’occasion de sanctionner, civilement ou pénalement, un grand nombre de comportements portant atteinte aux droits des tiers, à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. Dans les décisions rendues ces dernières années, il s’agissait toutefois de la mise en cause de sites web ou de parties de contenus de sites web.

Or, il est aisé d’imaginer que sur un forum de discussion, une mailing list ou un chat, des débordements soient possibles. On pense bien entendu à des messages à caractère pédophile. Mais il peut aussi s’agir de diffamation, ou de fausses informations en matière de marché boursier.

Concernant le minitel, une jurisprudence « minitel rose » s’est développée. Ainsi, à titre d’exemple, un tribunal de grande instance a condamné en 1997 le fournisseur du service 36-15 Aline à 5 millions de francs d’amende pour proxénétisme aggravé, en considérant que celui-ci aurait dû surveiller les messages et les déconnecter lorsqu’ils présentaient un caractère prostitutionnel.

Avec internet, la responsabilité résultant des différentes formes de techniques communautaires ne peut être définie de manière générale et certaine. Il convient de reprendre les notions classiques du droit dans lesquelles elles s’inscrivent, et d’imaginer quelles applications pourraient en faire les tribunaux.

La distinction entre communication audiovisuelle et correspondance privée

La question de la mise en jeu de la responsabilité au regard des informations diffusées par le biais des différentes formes de communautés dépend de leur analyse en terme de correspondance privée ou de communication audiovisuelle.

L’article 2 de la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de la communication définit la communication audiovisuelle comme "toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de télécommunication, de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature qui n’ont pas le caractère d’une correspondance privée".

Par opposition, il y a correspondance privée lorsque le message est exclusivement destiné à une ou plusieurs personnes, déterminées et individualisées.

Il est d’ores et déjà acquis qu’internet est un procédé de télécommunication, et que les sites web, pris dans leur globalité, sont des services de communication audiovisuelle.

La distinction est fondamentale, car lorsqu’une technique communautaire peut être définie comme de la communication audiovisuelle, cela entraîne les conséquences suivantes :

en vertu de l’article 43-10 de la loi du 1er août 2000, modifiant la loi du 30 septembre 1986, "les personnes dont l’activité est d’éditer un service de communication en ligne autre que de correspondance privée tiennent à la disposition du public (…) le nom du directeur ou du co-directeur de la publication et, le cas échéant, celui du responsable de la rédaction au sens de l’article 93-2 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle".

dès lors, pour certaines infractions, le régime applicable sera celui des infractions de presse tel que défini par la loi de 1881. Or, ce régime instaure un système de responsabilité en cascade en vertu duquel le directeur de la publication sera poursuivi comme auteur principal si le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication. L’auteur du message ne pouvant être poursuivi qu’en tant que complice du directeur ou du codirecteur de la publication.

En effet, l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 stipule qu’ "au cas où l’une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est commise par un moyen de communication audiovisuelle, le directeur de la publication ou, dans le cas prévu par l’article 93-2 de la présente loi, le codirecteur de la publication sera poursuivi comme auteur principal, lorsque le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication".

Les infractions visées sont notamment la diffamation, l’injure, l’incitation à la haine et à la discrimination raciale, le négationnisme.

Si l’assimilation des sites web, pris dans leur globalité, à des services de communication audiovisuelle ne fait aucun doute, qu’en est-il des différentes formes de techniques communautaires qui peuvent composer les sites web ?

Les forums de discussion (ou Newsgroup)

(Les forums de discussion sont des lieux virtuels de discussion autour d’un thème d’intérêt commun. Le principe est que chacun peut intervenir par un message écrit dans la discussion. Les informations véhiculées dans les forums ne sont pas distribuées à chacun par e-mail mais regroupées physiquement sur un serveur que l’on doit contacter. Un forum fonctionne donc en différé.)

Les messages se trouvent réservés à un groupe de personnes liées par une communauté d’intérêts. Toutefois, ils sont réputés faire l’objet d’une publication au sens de la loi de 1881 dès lors qu’il est établi qu’ils touchent une catégorie importante du public. Dès lors, le responsable d’un forum, dans l’hypothèse où il est ouvert au public, gère un service de communication audiovisuelle.

La question sera donc de définir la notion d’ouverture au public. Si un forum n’est accessible qu’au moyen d’une clé, on ne peut pas systématiquement considérer qu’il constitue un lieu d’échanges privés. Tout dépendra de la manière dont le forum est réellement accessible.

Les chats

(Les chats sont des espaces de discussion qui permettent de dialoguer en temps réel avec d’autres internautes connectés au même moment. Un chat peut être composé de canaux publics où tout le monde s’exprime et de canaux privés où les internautes peuvent dialoguer à deux.)

Au même titre que les forums de discussion ouverts, les messages échangés sur les canaux publics d’un chat doivent être considérés comme des services de communication audiovisuelle.

En revanche, ceux échangés sur des canaux privés relèvent de la correspondance privée. On pourra vraisemblablement assimiler ce moyen à un échange d’emails entre deux personnes

Les mailing lists

(Une mailing list est une extension du courrier électronique : toute personne dotée d’une adresse électronique peut adhérer à une liste dont le thème correspond à ses préoccupations, ce qui lui permet de recevoir régulièrement et automatiquement des messages envoyés par l’un des adhérents à la liste. La liste dispose d’une adresse et tout ce qui lui est envoyé est transmis à tous les souscripteurs de la liste.)

Dans le cadre d’une mailing list, les messages sont envoyés confidentiellement à chacune des personnes figurant sur la liste.

En conséquence, les mailing lists relèvent à priori de la correspondance privée.

Toutefois, il pourrait éventuellement être objecté :

qu’une mailing list composée d’un très grand nombre de destinataires perd son caractère de correspondance privée. Ainsi, il a pu être considéré que la technique du spamming pouvait ne pas être de la correspondance privée.

que la pratique des mailing lists incluant la présence d’un « modérateur » ou « animateur » supprime le caractère privé qui induit une relation directe entre un expéditeur et un ou plusieurs destinataires.

Quelle responsabilité pour les différents acteurs ?

L’auteur

Celui qui dialogue par le biais des forums de discussion, des mailing lists et des chats est responsable civilement et pénalement des propos qu’il diffuse.

Toutefois, en matière d’infractions de presse, nous avons vu que le régime de la responsabilité en cascade s’appliquait. Dans ce cas, le directeur de la publication sera en première ligne, et, s’il est mis en cause, l’auteur sera alors poursuivi comme complice.

Le directeur de la publication

Le système de responsabilité en cascade repose en fait sur une « présomption de surveillance ».

Cette présomption met à la charge du directeur de la publication la responsabilité du contrôle de la ligne éditoriale. Le directeur de la publication est donc celui qui a la maîtrise du contenu du service. Ce pouvoir de contrôle du contenu est la contrepartie de la responsabilité qu’il encourt en tant que directeur de la publication.

Or, les techniques communautaires n’autorisent pas une approche purement éditoriale dans la mesure où il n’est pas évident pour un éventuel directeur de la publication de surveiller et contrôler le contenu des propos échangés dans ces espaces de discussion.

Lorsqu’il n’est plus envisageable de faire peser sur une personne cette obligation de surveillance, la mise en œuvre du système de responsabilité en cascade devient très difficile.

De plus, la responsabilité du directeur de la publication ne pourra être engagée que si le message a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public.
Dans le cas des chats, les messages sont diffusés en direct et il serait donc possible d’exclure la responsabilité du directeur de la publication. Seul l’auteur des propos litigieux pourra être poursuivi, sauf à démontrer une éventuelle complicité du responsable du site web gérant les chats

Le responsable du site web

En matière civile, le responsable du site web offrant l’accès à des services de forum, de mailing lists ou de chats peut voir sa responsabilité engagée.

En effet, le droit de la responsabilité civile fait une place importante à la notion de risque d’entreprise.

Ainsi, le responsable du site web peut parfaitement être considéré comme celui qui décide de mettre en place la technique communautaire, qui détermine les différents thèmes et qui choisit de modérer ou non les messages échangés.

Sa responsabilité pourrait donc être recherchée sur le fondement du risque qu’il a pris de voir naître le préjudice dont viendrait se plaindre un tiers du fait, par exemple, de l’ouverture d’un forum de discussion.

En outre, en vertu de l’article 43-10 de la loi du 1er août 2000, lorsque les fournisseurs de contenu sont des professionnels, c’est à eux qu’il incombe de désigner le nom du directeur ou du co-directeur de la publication. Ils sont également tenus de mentionner leur dénomination sociale ou raison sociale et leur siège social. Enfin, ils doivent faire apparaître sur leurs sites le nom, la dénomination ou la raison sociale et l’adresse du fournisseur d’hébergement.

En revanche, les fournisseurs de contenu non-professionnels peuvent quant à eux préserver leur anonymat, mais ils sont cependant tenus de mettre à la disposition du public le nom, la dénomination ou la raison sociale et l’adresse de leur fournisseur d’hébergement (ce dernier devant conserver les éléments d’identification personnelle).

L’hébergeur

L’article 43-8 de la loi du 1er août 2000 instaure pour les fournisseurs d’hébergement un régime de responsabilité dérogatoire au droit commun.

Leur responsabilité ne pourra être engagée civilement ou pénalement si, saisis par une autorité judiciaire, ils n’ont pas « agi promptement pour empêcher l’accès à ce contenu ».

Le modérateur

Le responsable d’un forum de discussion ou d’un chat peut prévoir la présence d’un modérateur dont la mission est de contrôler le contenu des messages et qui a le pouvoir de décider de ne pas diffuser ceux qu’il estimerait contraires à la loi ou de nature à porter atteinte aux tiers.

En pratique, il est fréquent dans les forums que le modérateur ait la qualité de directeur de la publication. Dès lors, c’est bien entendu en cette qualité qu’il sera responsable des messages constitutifs d’infractions de presse diffusés sur le forum.

Pour le responsable du site, la mise en place d’un modérateur semble être à double tranchant. D’un coté, cela pourrait permettre de limiter sa responsabilité, celui-ci pouvant démontrer qu’il a mis en œuvre les moyens permettant de contrôler le contenu diffusé. D’un autre coté, cela pourrait permettre d’augmenter sa responsabilité dans la mesure où il pourra plus difficilement se prévaloir de son impossibilité matérielle de contrôler le contenu diffusé.

Sylvain STAUB
Avocat à la Cour
Cabinet Salans Hertzfeld & Heilbronn
sstaub@salans.com