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La défense de la marque victime de position squatting (Partie 2) (26 décembre 2002)

La marque contre le squatter

On verra dans un premier temps les recours dont les titulaires de la marque disposent contre le squatter, puis contre l’OR pratiquant le Positionnement payant, certainement plus solvable.

La marque contre le squatter

L’article L.713-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose :

" Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire :
La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que " formule, façon, système, imitation, genre, méthode ", ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement ;
La suppression ou la modification d’une marque régulièrement apposée "

Afin de savoir si le titulaire d’une marque peut s’opposer à ce que d’autres personnes que lui n’achètent une position privilégiée sur les résultats des recherches des internautes sur le signe protégé, il conviendra de se demander si l’achat d’une position sur un mot clé relève bien d’un usage de marque répréhensible au sens de l’article L.713.2 du Code de la propriété intellectuelle, puis si cet usage peut être interdit dans tous les cas.

> Le position squatting : un usage de marque au sens de l’article L.713-2 du Code de la propriété intellectuelle

La difficulté avec notre cas réside dans l’absence d’une quelconque reproduction visible ou usage matériel du signe protégé par le squatter. À moins que le site ne l’utilise dans son nom de domaine ou dans la phrase de description qui suit le lien dans la page de résultats, auquel cas la reproduction nous amène vers un cas plus " classique ", le signe n’est pas visiblement utilisé.

Cependant, il y a bien usage stricto sensu dans la mesure où le squatter utilise la marque comme référence pour décrire le contenu de son site en réservant la position correspondant à la requête de l’internaute concernant la marque. Le Code n’exige à aucun moment une reproduction matérielle et emploie le terme " usage " lato sensu, car aucune liste ne délimite la notion. La jurisprudence suit cette conception en retenant l’usage en l’absence de support dans une marque matériellement reproduite ou apposée sur des produits. Parfois même, l’usage est simplement oral (1).

En outre, la reproduction de marques dans le code source d’un site comme métatag est également reconnue comme un acte susceptible d’être qualifié de contrefaçon (2). Elle consiste à inscrire dans la page du site des mots qui, invisibles par l’internaute, permettront l’indexation du site puis son apparition dans les pages de résultats des OR à chaque requête concernant ce mot. Si dans ce cas il y a reproduction du signe dans le code HTML de la page, l’effet escompté est strictement identique à celui de la réservation d’une position : faire apparaître son site dans les pages de résultats des recherches sur les mots clés désignés.

Ainsi, la société Distrimart a été condamnée pour contrefaçon en référé et en appel (3) pour avoir reproduit dans le code source de son site les marques " maison et objet " et " decoplanet " qui appartenaient à sa concurrente la société Safi afin d’apparaître en tête des résultats lorsque l’internaute faisait une recherche sur ces termes :

" en faisant usage de la dénomination DECOPLANET à titre de mot clé sur la page source de son site Internet pour permettre le référencement automatique du site à travers les moteurs de recherche, la société Distrimart a commis des actes de contrefaçon ".

Tel fut aussi le sort de la société Citycom : dans ses métatags figuraient les mots " coco " et " chanel ", cet usage fut jugé contrefaisant (4) car le site était accessible à partir de la simple indication des noms et marques Coco et Chanel dont la société Chanel est propriétaire.

On voit alors mal pourquoi les juges ne retiendraient pas l’usage illicite en cas de position squatting. D’ailleurs, à propos d’un litige ayant opposé aux Etats-Unis deux sociétés nommées Nissan (5), dont l’une se plaignait du fait que l’autre apparaisse avant elle dans les résultats des recherches sur le mot clé " Nissan " dans les OR, le juge a retenu :

" Sur les fondements de la contrefaçon et de la dilution, les tribunaux limitent ou interdisent l’usage de marques dans les métatags d’un site afin de manipuler les listes de résultats des outils de recherche. Il n’y a aucune raison pour ne pas étendre cette protection aux cas ou l’on contrefait ou dilue la marque d’autrui en achetant une position sur un mot clé - pratique équivalente à l’usage de la marque d’autrui dans les métatags - dans le but de manipuler les résultats des listes des outils de recherche " (6)

L’affaire allemande Estée Lauder (7) vient confirmer notre opinion selon laquelle les juges seront intraitables avec les position squatters. Le site web " The Fragrance Counter " (désormais nommé iBeauty) avait passé un accord avec l’OR Excite afin que ses bannières publicitaires s’affichent dès qu’un internaute lançait une recherche sur les mots clés " Estée Lauder " ou sur d’autres noms de parfums de cette marque, alors même que la société n’avait pas le droit de vendre ces produits en Allemagne.

La doctrine allemande exige un usage visible de la marque pour que l’on puisse retenir la contrefaçon, c’est pourquoi The Fragrance Counter a été condamnée pour concurrence déloyale, du fait de l’achat de mots clés sur lesquels elle n’avait aucun droit. La situation était ici quasiment identique au position squatting puisque le site avait acheté le droit d’apparaître en priorité lors de toute recherche sur une marque sur laquelle il ne détenait aucun droit, or en droit français, un usage visible n’est pas requis...

Par ailleurs, le position squatting ressemble à la pratique de la " marque d’appel ", qui consiste à faire de la publicité sur une marque afin de vendre ou de promouvoir des produits concurrents à une clientèle attirée par la marque. Le squatter peut alors voir sa responsabilité engagée non seulement pour contrefaçon mais aussi sur le fondement de l’article L. 121.1 du Code de la consommation, évoqué plus haut, qui interdit la publicité trompeuse. En effet, si les résultats des OR ne sont pas clairement distincts des publicités, le consommateur peut être induit en erreur croyant que le site a un rapport avec la marque qu’il a requis dans sa recherche.

La jurisprudence offre plusieurs exemples de publicités trompeuses par utilisation de la marque d’autrui, tel ce vendeur qui proposait en vitrine des vêtements sous une appellation à laquelle ils ne pouvaient prétendre (8). On pense aussi au délit de remplissage qui consiste à habiller un produit avec l’emballage du produit d’une marque concurrente.

Les OR présentent souvent leurs liens commerciaux comme de la publicité comparative. Certes, cette forme de publicité est autorisée par l’article L.121.8 du Code de la consommation lorsqu’elle répond à des conditions très strictes, mais le Positionnement payant ne peut pas être qualifié de tel. Si son effet peut être de comparer les produits des différents sites, son fonctionnement n’est pas la comparaison mais l’appât, or ceci est proscrit par l’article suivant (9) : " aucune comparaison ne peut avoir pour objet principal de tirer avantage de la notoriété attachée à une marque ". On se trouve bien dans ce cas de figure ou le squatter profite du fait que l’internaute ait formulé une demande concernant une marque pour présenter son site.

L’achat d’une position sur un mot clé protégé pour promouvoir son site est donc un usage de marque, auquel le titulaire du signe pourra s’opposer selon l’article L.713-2 du Code de la propriété intellectuelle. Il convient cependant de préciser que le droit des marques connaît des limites : dans certains cas le squatter pourrait être en droit d’apparaître.

> Les limites du droit des marques

Tout d’abord, selon le principe de spécialité le titulaire de la marque ne pourra empêcher l’usage du signe pour désigner des produits et services différents de ceux visés dans l’enregistrement. Dans les litiges relatifs aux noms de domaines, le juge examine le contenu du site pour déterminer si le réservataire est contrefacteur (10), il en sera certainement ainsi en matière de mots clés. Si les produits ou services contenus dans le site " positionné " sont similaires, le titulaire de la marque devra prouver un risque de confusion qui pourrait bien exister du simple fait de l’apparition du site dans les listes de résultats correspondant à la marque.

Lorsque le site du positionné n’est pas concurrent du titulaire de la marque, le droit des marques ne devrait pas s’appliquer. Cependant, l’article 1382 du Code civil et la théorie du parasitisme pourra protéger le titulaire de la marque victime du position squatting lorsque le squatter ne cherche qu’à tirer un avantage indu de sa position.

En occupant les premières places des résultats, il peut chercher à faire monter les enchères afin d’obliger le propriétaire réel à payer plus qu’il ne devrait pour se placer, ou à profiter du fait que la marque soit connue dans un secteur pour se placer dans son sillage et augmenter sa visibilité. Lorsque le contenu du site du squatter n’a aucun rapport avec les mots clés réservés, il pourrait ressortir des faits que ce dernier a voulu " profiter du travail d’autrui sans bourse délier " (11), et le dommage pourra être constitué par une atteinte à la valeur de la marque, la perte d’internautes ou de clients potentiels.

Cependant, lorsque la marque est notoire, elle est protégée au-delà de sa spécialité par une action en responsabilité civile spécifique, selon l’article 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, lorsque son emploi est " de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière ". Le squatter qui ne cherche qu’à profiter de la notoriété d’une marque verra donc sa responsabilité engagée même si le contenu de son site n’a aucun rapport avec les produits ou services de cette marque.

Il semble que le position squatting affecte surtout les marques jouissant d’une renommée, l’action en contrefaçon et cette action spécifique permettront de résoudre la plupart des cas.

D’autre part, il convient d’ajouter que, conformément au principe de territorialité, les titulaires de marques étrangères pourront se positionner sur les listes de résultats aux requêtes correspondantes. À la différence des noms de domaine en " .com ", les mots clés peuvent être partagés et cette possibilité de coexistence devrait permettre d’éviter les litiges.

Ensuite, et bien que cette exception ne soit pas prévue par le code, la jurisprudence a reconnu que l’usage d’une marque dans un but d’information ne constitue pas une contrefaçon. Ainsi, la société TF1 n’a pu empêcher le magazine Entrevue de titrer " Enquête : TF1 La Télé Bavure " sur sa couverture, en effet, selon le Tribunal de grande instance (12), " pour être répréhensible, l’usage d’une marque doit être fait à des fins commerciales ou publicitaires. En revanche, l’usage dans un but d’information ne constitue pas une contrefaçon. ".

De la même façon, dans la célèbre affaire " Je boycotte Danone ", le même tribunal a estimé que la reprise de la marque dans le nom de domaine n’était pas contrefaisante (13). Le juge américain, quant à lui, a retenu le faire use pour autoriser Terri Welles, une ancienne playmate, à utiliser les mots Playboy et Playmate qui appartenaient à Playboy Entertainment, Inc dans le code source de son site Internet sous forme de métatag. Plus récemment en France, dans l’affaire Cadremploi c. Keljob (14), les juges ont fait référence à la notion d’usage de marque à but d’information afin de se prononcer sur la contrefaçon, en vérifiant de prime abord que la marque Cadremploi était bien utilisée " à des fins commerciales, et non dans le seul but désintéressé d’en informer l’utilisateur ".

La notion, bien que considérée comme obsolète par des spécialistes du droit du référencement (15), nous paraît bien utile et permet d’éviter des abus du droit des marques. On a vu que le paiement d’une position constituait un acte de publicité, mais on pourrait estimer qu’au cas où le site positionné reprend la marque à titre d’information dans son contenu, la promotion de ce contenu au moyen de la réservation d’une position sur le mot clé correspondant à cette marque constitue un usage non commercial.

Jean ANDRE
jean.andre@droit-multimedia.org

1 CA Paris, 30 avril 1987 : Annales, 1988, p. 246.

2 Voir par exemple CA Paris, 14 mars 2001, SARL Distrimart c/ SA Safi : disponible sur Juriscom.net, <http://www.juriscom.net/txt/jurisfr...>  ; CA Paris, 3 mars 2000, SA Citycom c/ SA Chanel : CCE, novembre 2000, p. 19, également disponible sur Foruminternet.org, <http://www.foruminternet.org/documents/jurisprudence/lire.phtml?id=79>.

3 TGI Paris, ord. référé du 4 août 1997, Distrimart : JCP éd.E 1997, pan. n° 1021 et CA Paris, 14 mars 2001, SARL Distrimart c/ SA Safi : CCE, janvier 2002, p. 25, également disponible sur Juriscom.net, <http://www.juriscom.net/txt/jurisfr/ndm/caparis20010314.htm>.

4 CA Paris, 3 mars 2000, SA Citycom c/ SA Chanel : CCE, novembre 2000, p. 19, également disponible sur Foruminternet.org, <http://www.foruminternet.org/documents/jurisprudence/lire.phtml?id=79>.

5 United States District Court, Central District of California, Nissan Motor Co. Ltd. v. Nissan Computer Corporation, 29 août 2001.

6 "Under both infringement and dilution theories, many courts have also applied protections against and limitations on the use of a trademark in a webpage’s metatags - embedded codes that helps search engines identify the content of a website - for the improper purpose of manipulating search engine’s results list. There appears to be no good cause for not extending these protections and limitations to cases when one infringes or dilutes another’s mark by purchasing a search term - as opposed to using another’s mark in one’s metatags- for the purpose of manipulating the search engine’s results list."

7 Décision du 16 février 2000 du Landericht de Hamburg, non publiée. Voir R.Mann, "Sale of Keywords : Trademark Violation, Unfair competition or Proper E-advertising ?", EIPR 2000, p. 378.

8 Cass. crim, 3 juin 1993 : BID 93, n°10 p. 45.

9 article L.121.9 du Code de la consommation.

10 voir par exemple TGI Nanterre, 21 janvier 2002, Saveurs et Senteurs Créations : disponible sur Legalis.net.

11 voir par exemple CA Paris, 22 février 1995, D.S., 1996, Somm. 250.

12 TGI Paris, 22 février 1995 : PIBD 1995.

13 TGI Paris, ord.réf., 14 mai 2001, Danone c/ Réseau Voltaire, Société Gandi et Valentin Lacambre : CCE juillet/août 2001, p. 21, également disponible sur Foruminternet.org, <http://www.foruminternet.org/documents/jurisprudence/lire.phtml?id=97>.

14 TGI Paris, 5 septembre 2001, Cadremploi c. Keljob : disponible sur Juriscom.net, <http://www.juriscom.net/txt/jurisfr/da/tgiparis20010905.htm>.

15 Arnaud Diméglio, " La Guerre Contre les Moteurs a Commencé ", Juriscom.net, Professionnels, 3 octobre 2001, <http://www.juriscom.net> .