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Accueil du site  > Droit > La revue juridique mensuelle du commerce et marketing sur Internet > Le langage de programmation d’un logiciel est-il protégé ?

Le langage de programmation d’un logiciel est-il protégé ? (19 février 2012)

Le logiciel est défini par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle comme « un ensemble d’instructions pouvant, une fois transposé sur un support déchiffrable par machine, faire indiquer, faire accomplir ou faire obtenir une fonction, une tache ou un résultat particuliers par une autre machine capable de faire du traitement de l’information ». De par sa spécificité, le caractère technique et immatériel du logiciel distingue ce dernier des œuvres de l’esprit plus traditionnelles. Le débat de sa protection juridique s’est donc porté sur le choix entre le droit d’auteur ou le droit des brevets. La France fut ainsi le premier pays européen ayant interdit la brevetabilité du logiciel avant de reconnaitre expressément le logiciel comme une œuvre de l’esprit protégée par le droit d’auteur. Par la suite, la Directive européenne du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur a assimilé les logiciels aux œuvres littéraires. Enfin, comme toute œuvre de l’esprit, le logiciel doit donc être original pour être protégé par le droit d’auteur.

Tel est donc le contexte de l’affaire SAS qui est en train d’être jugée devant la CJUE (aff. C-406/10), dans laquelle la Cour de Justice de l’Union européenne, saisie via un renvoi préjudiciel, a été amenée à préciser l’étendue de la protection des programmes d’ordinateur en vertu de la directive 91/250/CEE et ce, particulièrement en ce qui concerne les fonctionnalités d’un programme d’ordinateur et le langage de programmation.

En l’espèce, la SAS institute Inc. a introduit une action en contrefaçon au Royaume-Uni visant à faire constater la violation des droits d’auteur de la SAS Institute Inc. sur ses programmes d’ordinateur par WPL. La société WPL a été amenée à proposer un logiciel capable d’exécuter des programmes d’application en langage SAS, appelé WPS, qui reprend une grande part des fonctionnalités SAS afin que les programmes d’application se déroulent à l’identique qu’il s’agisse de composants sous WPS ou sous SAS, et afin d’assurer une interopérabilité entre ces programmes. Saisie par la High Court of Justice de Grande Bretagne, la Cour de justice de l’Union européenne doit désormais préciser le régime de protection des fonctionnalités d’un programme d’ordinateur et de son langage de programmation.

Monsieur l’avocat général Yves Bot a d’ores et déjà rendu ses conclusions, et indique d’abord comment le langage de programmation d’un logiciel ne peut pas être protégé (1), pour ensuite appliquer le même raisonnement à la notion de fonctionnalités des logiciels (2).

1. L’assimilation du logiciel aux œuvres littéraires : le bénéfice de la protection par le droit d’auteur

Dans la droite lignée de la jurisprudence française (Cass, 1ère Civ, 22 septembre 2011), l’avocat général souligne que la directive 91/250/CEE prévoit que les Etats membres protègent les programmes d’ordinateur en tant qu’œuvres littéraires, et soient soumis au droit d’auteur. Il précise alors que l’originalité d’un programme d’ordinateur ne peut être déterminée selon une évaluation de sa qualité ou de sa valeur esthétique. L’originalité du logiciel permettant sa protection par le droit d’auteur réside non pas dans une idée, qui est de libre parcours, mais dans son expression. Il en résulte que les idées et les principes qui sont à la base de la logique, des algorithmes et des langages de programmation, ne sont pas protégés en vertu de ladite directive.
Or, en matière de programme d’ordinateur, la directive ne fournit pas de définition de la notion de « toute forme d’expression d’un programme d’ordinateur ». Cependant, le législateur européen a indiqué que la créativité, le savoir-faire et l’inventivité d’un logiciel s’expriment dans la manière dont le programme est élaboré. Un programme d’ordinateur peut donc accéder à la protection par le droit d’auteur, dès lors que le choix et l’arrangement de ces éléments témoignent de la créativité et du savoir-faire de l’auteur, et permettent de le distinguer des autres logiciels.

En l’espèce, il convenait de se demander si le langage de programmation d’un logiciel, de même que les fichiers, pouvaient bénéficier de la protection du droit d’auteur. D’abord, le langage de programmation ne peut pas être protégé par le droit d’auteur. C’est là le point d’orgue des conclusions de l’avocat général qui considère que le langage de programmation représente uniquement un élément fonctionnel qui permet de donner des instructions à la machine. Ce langage est constitué de mots et de caractères connus de tous et dépourvus de toute originalité. A cet égard, le langage de programmation constitue un moyen d’expression et non pas l’expression en elle-même. En conséquence, l’avocat général estime que le langage de programmation ne peut être assimilé à « toute forme d’expression d’un programme d’ordinateur » et ne peut donc pas accéder à la protection du droit d’auteur.

Quant à la protection des formats de fichier de données SAS par le droit d’auteur, l’avocat général applique le même raisonnement : le format de fichier de données SAS doit être considéré comme une interface. WPL avait-elle alors le droit de décompiler les fichiers composant cette interface ? L’article 6 de la directive, qui définit la notion de décompilation, prévoit une exception aux droits exclusifs de l’auteur : l’autorisation du titulaire des droits n’est pas requise lorsque la reproduction du code ou sa traduction est indispensable pour obtenir les informations nécessaires à l’interopérabilité d’un programme créé de façon indépendante avec d’autres programmes. Cette notion étant une exception au droit d’auteur, elle doit être interprétée de manière restrictive. Or, à ce jour, nous restons dans l’attente de la position des juges à ce sujet, mais notons que la jurisprudence française a déjà fait son choix en estimant que constituaient une contrefaçon, les logiciels dont les répertoires de fichiers étaient identiques, présentant de grandes ressemblances puisque 25 fichiers étant identiques ou quasi identiques (CA Paris, 16 octobre 2009).

2. L’assimilation des fonctionnalités du logiciel aux idées :
l’absence de protection par le droit d’auteur

La fonctionnalité d’un programme d’ordinateur peut être définie comme le service qu’en attendent les utilisateurs, c’est-à-dire l’ensemble des possibilités qu’offre un système informatique. L’avocat général estime que la fonctionnalité d’un programme d’ordinateur doit être considérée comme une idée et ce faisant, exclue de la protection du droit d’auteur. En effet, deux programmes peuvent effectuer la même fonctionnalité, cependant, il existe une multitude de moyens pour exprimer cette fonctionnalité et c’est précisément l’agencement de ces moyens qui est susceptible de protection en vertu de la directive, sous réserve que cette « compilation » exprime la créativité, l’inventivité et le savoir-faire de l’auteur du logiciel. L’avocat général rappelle également que l’agencement des moyens est susceptible d’être protégé par le droit d’auteur dès lors que celui-ci constitue l’expression de la création intellectuelle de l’auteur du programme d’ordinateur, conformément à la jurisprudence Infopaq International.

Par ailleurs, le juge britannique demande à la CJUE si la reproduction des aspects du code source relatifs à la fonctionnalité d’un logiciel doit être considérée comme une violation du droit d’auteur. L’avocat général relève que le fait de reproduire une partie substantielle de l’expression des fonctionnalités d’un programme peut constituer une telle transgression. L’avocat général estime toutefois qu’il appartient au juge national de déterminer si, en reproduisant les fonctionnalités des composants SAS, WPL a reproduit, dans son système WPS, une partie substantielle des éléments de ces composants qui sont l’expression de la création intellectuelle propre à l’auteur desdits composants.
Enfin, quant à l’interface utilisateur graphique, elle ne bénéficie pas de la protection spécifique des logiciels. La question qui se posait était donc de savoir dans ce cas si le droit commun du droit d’auteur, « revisité » tel que l’a qualifié M. Vivant, couvrait les interfaces. C’est l’arrêt de la CJUE du 22 décembre 2010 qui est venu résoudre cet épineux problème. La CJUE précise que l’interface utilisateur graphique est « une interface d’interaction, qui permet une communication entre le programme d’ordinateur et l’utilisateur ». Aussi, il convenait de savoir si l’interface utilisateur graphique d’un logiciel était ou non une forme d’expression de ce programme. Suivant les conclusions de l’avocat général Bot, la Cour répondit par la négative car cette interface ne permettait pas de reproduire le programme. Elle n’en constitue qu’un élément. Toutefois, si elle ne peut être protégée en application de la directive 91/250/CEE, elle peut éventuellement l’être en tant qu’œuvre spécifique visée par la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information dès lors qu’elle constitue une création intellectuelle propre à son auteur. Cette protection étant, bien sûr, soumise à la condition que ladite interface soit originale, c’est-à-dire qu’elle soit une création intellectuelle propre à son auteur.
Or, a priori, l’interface, comme le langage de programmation, constitue un moyen d’expression et non pas l’expression en elle-même de l’auteur. Alors, comme dans l’affaire SAS en matière de langage de programmation, une seule et même question subsiste : comment démontrer l’originalité de ces éléments constitutifs du logiciel ? Vague interrogation à laquelle la CJUE devra répondre.

Enfin, la position de la CJUE à l’égard des interfaces ne surprendra pas puisque la Jurisprudence française avait rattaché les interfaces graphiques aux logiciels (Cass. crim., 21 juin 2000, Pierre T. c/ Midway Manufacturing Company ; Cass. 1ère Civ., 27 avr. 2004, Sté Nouvelle DPM c/ Sté Nintendo et a.). Mais, par un important arrêt récent (Cass. 1ère Civ., 25 juin 2009), la Cour de cassation a décidé que chacune des composantes du jeu vidéo était désormais soumise au régime qui lui est applicable en fonction de sa nature. L’interface graphique n’est donc pas soumise au régime spécifique du logiciel, mais à celui du droit commun du droit d’auteur. La solution de la Cour de justice est ainsi en parfaite adéquation avec la position de la jurisprudence française.

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