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Le positionnement payant : une pratique admissible mais encadrée : partie 1  (26 décembre 2002)

La décision du 9 juin 2000 du Conseil de la concurrence et sa portée

On peut déduire de la décision qu’a rendu le Conseil de la concurrence le 9 juin 2001 (1) que le positionnement payant n’est pas a priori, illicite, dans le respect du droit de la concurrence. Cependant, il semble qu’il doive répondre à l’appellation de publicité et tirer les conséquences de cette qualification.

La décision du 9 juin 2000 du Conseil de la concurrence et sa portée

La décision du Conseil de la concurrence ne l’énonce pas d’une manière si claire, mais elle semble bien signifier que " la gratuité n’étant pas un modèle imposé, les OR ont le droit de vivre de leur art " (2). Pour autant, ils ne sauraient s’affranchir des règles du droit de la concurrence.

> Les engins de recherche peuvent librement choisir leur politique commerciale

Outre une critique du refus de l’AFNIC de lui attribuer le nom de domaine " concurrence.fr ", la société Concurrence s’estimait victime d’une discrimination de la part de certains moteurs de recherche qui faisaient apparaître en priorité sur les résultats des recherches sur le mot " concurrence " les sites concurrents dont ils obtenaient des contreparties financières. Cette sélection se faisait donc à son détriment et empêchait l’opérateur de moindre taille " d’apparaître à la place à laquelle (il) pourrait prétendre sur les listes de sites affichés par les annuaires et moteurs ".

Dans sa décision, le Conseil de la concurrence semble consacrer la faculté des OR à choisir leurs méthodes commerciales : " L’exercice de la fonction de guide de recherche sur Internet n’implique pas d’obligations portant sur le référencement de la totalité des sites web - à supposer qu’un tel référencement soit techniquement possible - ou sur l’adoption de méthodes particulières de classement des sites, obligations très lourdes qui iraient à l’encontre d’une politique commerciale librement choisie garante de l’exercice effectif de la concurrence ".

On peut logiquement déduire de l’expression " politique commerciale librement choisie " qu’ils peuvent librement adopter le modèle du positionnement payant.

> La soumission aux règles du droit de la concurrence, la dangereuse dérive vers la vente de mots-clés

Par ailleurs, le Conseil retient que dans cette situation où une pluralité d’acteurs exerce la même activité sur le même marché, on peut difficilement soutenir une position dominante individuelle de la part de chacun d’eux, or, un abus de position dominante collective n’avait pas été allégué par la demanderesse. Le Conseil indique ici la direction qu’une entreprise s’estimant lésée devra suivre : il lui faudra démontrer avoir subi un abus de position dominante collective. En l’espèce, n’étaient prouvés ni la position dominante collective ni l’abus, mais ces deux conditions pourraient être réunies à l’avenir.

L’article 86 du Traité de Rome condamne expressément le fait " pour une ou plusieurs entreprises " d’exploiter de façon abusive une position dominante. On a vu qu’un prestataire de positionnement payant, Espotting, fournit les premiers résultats des OR de portails importants. Si la pratique se généralisait par des accords entre " positionneurs " et la totalité des OR voire des navigateurs, dont certains proposent déjà une " navigation-recherche " par mots-clés (3), une position dominante collective existerait.

On ne voit pas pourquoi les OR seraient épargnés par la logique de partenariats, de regroupements, de fusions qui anime la " net économie " aujourd’hui, et les résultats des prestataires de positionnement payant, qui envahissent déjà les moteurs de recherche américains, pourraient bien occuper les premières places de toute recherche effectuée. A titre d’exemple, Overture dit atteindre 75 % des internautes américains soient 69.8 millions de visiteurs uniques, grâce à de nombreux partenariats dont AOL, Terra Lycos, Altavista, Ask Jeeves/DirectHit, Infospace, CENT, EarthLink, HotBot et autres affiliés.

Reste à démontrer l’exploitation abusive. Là encore, le conseil semble indiquer la voie à suivre dans sa décision, en affirmant que " la fonction d’annuaire ou moteur de recherche sur Internet ne peut être tenue pour indispensable à la rencontre de la demande émanant du consommateur et l’offre de produits et services vendus sur Internet ". Cette position déjà critiquée (4), énonce a contrario qu’au cas où l’apparition dans les résultats des OR était une nécessité pour accéder au marché, en exclure un opérateur serait une entrave à la concurrence.

On voit ici que la théorie des " facilités essentielles ", qui vise les situations où " une société jouissant d’une position dominante dans la fourniture d’installations qui sont essentielles pour la fourniture de biens ou de services sur un autre marché abuse de sa position dominante en refusant, sans justification objective, de donner accès aux dites installations " (5), dont l’objectif est de garantir l’accès à certaines ressources, pourrait venir au secours des oubliés du positionnement payant. Il semble que l’on peut déjà considérer que la fonction d’OR relève d’une facilité essentielle : le recours aux OR se généralise, car, si techniquement l’internaute peut se passer de son utilisation en pratique, il lui apporte un confort et une rapidité incomparable avec une recherche menée en tâtonnant sans son aide.

En se gardant de tout alarmisme, on peut envisager que les dérives du positionnement payant mèneront, dans un futur proche, à des situations anticoncurrentielles ou des opérateurs seraient exclus du marché. En effet, il peut facilement aboutir à l’appropriation de mots clés par certaines entreprises, ce qui empêcherait les acteurs du même secteur d’être visibles sur le net. Le dernier chapitre du rapport de l’OMPI (6) d’avril 1999 évoque ce problème inédit, en prenant des exemples parlants :

" Plusieurs sociétés, sises dans plusieurs régions du monde, ont enregistré des noms de domaine comprenant tous l’élément " Télécom ". Ce sont Symmetricom, Inc (www.telecom.com), Telecom UK ltd (www.telecom.co.uk), TWX Telecommunications gmbh (www.telecom.de), Telecom s.r.l. (www.telecom.it), Telstra Corporation Ltd. (www.telecom.com.au) et Swisscom (www.telecom.ch). Néanmoins, certains des systèmes à mots clés existant actuellement ne renvoient l’utilisateur qui saisit le mot clé " telecom " qu’au site de Symmetricom, inc., sans rien dire des autres.(...)
En saisissant le mot clé " golf ", l’utilisateur est dirigé d’une société sise aux États-Unis (www.golf.com) alors que d’autres utilisent le mot golf comme nom de domaine, en particulier une société du Royaume Uni (www.golf.co.uk), une société allemande (www.golf.de), une société néerlandaise (www.golf.nl), une société australienne (www.golf.com.au), etc. "

On comprend bien, alors, l’utilité d’un recours au droit de la concurrence et à la théorie des facilités essentielles. " Une entreprise qui dispose d’une facilité de nature telle que d’autres entreprises ne peuvent fournir des services à des utilisateurs qu’en ayant accès à cette facilité ne peut refuser de mettre à disposition des entreprises demanderesses ladite facilité " (7) : des prestataires de positionnement payant qui vendent des mots-clés de manière exclusive seront sanctionnés sur le fondement de cette règle.

Outre l’hypothèse d’abus de position dominante collective résultant d’une impossibilité de recourir à une " facilité essentielle " de l’accès au marché des internautes, l’OR n’en reste pas moins libre de choisir son modèle économique. S’il opte pour le positionnement payant, il doit être conscient qu’il sera alors considéré comme un support de publicité, et qu’il devra en tirer les conséquences.
Jean ANDRE
jean.andre@droit-multimedia.org

1 Décision n° 2000-D-31 du Conseil de la concurrence en date du 9 juin 2000 relative à une saisine au fond et une demande de mesures conservatoires présentées par la société Concurrence , BOCC, 25 juill. 2000, p. 422.

2 Eric Barbry, " Le droit du référencement ", Le Journal du Net, 6 mars 2001.

3 Les dernières versions de Netscape comprennent une fonction " mots clés Internet ". L’utilisateur qui tape le mot " book " se voit redirigé vers la librairie en ligne de Barnes and Noble.

4 Georges Decocq et Agathe Lepage, " Première rencontre entre le droit de la concurrence et les pratiques en matière de nommage et de recherche de site ", CCE, novembre 2000, p.22, 119.

5 Conclusions de l’avocat général Jacobs présentées le 28 mai 1998 sous l’affaire " Oscar Brönner ", C-7/97, Rec.I, p. 7794 (point 34).

6 " La gestion des noms et adresses de l’Internet : Questions de propriété intellectuelle ", Rapport final concernant le processus de consultations de l’OMPI sur les noms de domaine de l’Internet, 30 avril 1999, <http://wipo2.wipo.int> .

7 W. Van Gerven, Delsen economish recht, Belginselen van Belgish privaatrecht, Vol.13, ed. Story-Scientia, 1996, p. 514.