L’exclusivité territoriale accordée à un distributeur sur un territoire déterminé caractérise le contrat de distribution exclusive. Elle conditionne sa qualification juridique. Par ce réseau, le fournisseur s’engage à ne vendre ses produits à l’intérieur d’une zone géographique délimitée par le contrat qu’à un seul distributeur.
La concurrence intrabrand, c’est-à-dire entre les distributeurs des produits revêtus de la même marque, se trouve ainsi limitée puisque le producteur accepte de ne pas concurrencer son distributeur et de n’approvisionner aucun commerçant situé sur le territoire concédé à ce dernier. En contrepartie, le distributeur s’engage à ne pas concurrencer activement un autre distributeur sur son territoire.
La protection territoriale accordée aux distributeurs n’est pas absolue. L’organisation du réseau de distribution ne doit pas aboutir à un cloisonnement du marché. Le promoteur d’un réseau de distribution exclusive doit le mettre en place sans faire obstacle au libre jeu de concurrence.
Ainsi, la Commission Européenne précise dans le règlement d’exemption par catégorie du 22 décembre 1999[1] que le contrat ayant pour objet de restreindre "le territoire sur lequel la clientèle à laquelle le distributeur peut vendre les biens ou services faisant l’objet de l’accord"[2] ne peut bénéficier d’une exemption. La liberté de la concurrence est érigée à titre de principe, une exception est toutefois accordée : l’accord de distribution ayant pour effet de restreindre "les ventes actives vers un territoire exclusif ou une clientèle exclusive réservée"[3] peut bénéficier d’une exemption.
Le principe d’interdiction de la vente hors territoire concédé
Par application de ce principe, chaque distributeur ne doit pas livrer une concurrence active aux autres membres du réseau. Il doit en effet s’abstenir de démarcher les clients individuellement résidant en dehors du territoire qui lui est concédé. Au contraire, on ne peut reprocher aux distributeurs de satisfaire les commandes spontanées émanant de consommateurs établis sur les territoires exclusifs d’autres distributeurs. Il s’agit alors d’une forme de vente passive.
Mais, dans l’hypothèse où un distributeur envisage de créer un site Internet, le fournisseur peut-il lui reprocher de livrer à une concurrence déloyale aux distributeurs appartenant au réseau ? Peut-il le contraindre à fermer son site ?
Le cas du site Internet du distributeur exclusif
En exploitant un site Internet, le distributeur propose nécessairement, compte tenu du caractère international du réseau, des produits aux consommateurs localisés en dehors de ce territoire. Il paraît, par conséquent, indispensable d’aménager les clauses d’exclusivité territoriale insérées dans les contrats de distribution, de préciser dorénavant, que la commercialisation des produits via Internet constitue une exception à l’exclusivité accordée au distributeur sur "son territoire" dont l’exercice n’affecte pas l’exécution du contrat de distribution.
Toutefois, contractuellement, les distributeurs pourront être tenus de ne pas solliciter les clients relevant de la zone d’exclusivité concédée à un autre distributeur. Cet aménagement a pour effet de contractualiser l’interdiction de recourir à la vente active. Il appartient dès lors au distributeur de préciser dans l’offre pouvant être considérée comme une sollicitation, que la vente ne peut se réaliser avec l’internaute domicilié sur le territoire réservée à un autre distributeur.
Or, l’appréciation de la validité de la clause repose sur la distinction, traditionnellement réalisée en droit communautaire, entre les ventes active et passive. La difficulté consiste à déterminer le caractère actif ou passif de la vente.
Distinction sur le caractère "actif" ou "passif" de la vente
La Commission répond sans équivoque à cette question dans les lignes directives sur les restrictions verticales[4] puisqu’elle affirme clairement que "chaque distributeur doit être libre de recourir à Internet pour faire de la publicité ou pour vendre ses produits". Chaque distributeur a la possibilité d’utiliser ce nouveau média comme support publicitaire.
Le contrat de distribution ne peut lui interdire. Le recours à la publicité est autorisée quel que soit le support utilisé, qu’elle soit diffusée sur le site du distributeur ou d’autrui. Le fait qu’elle s’adresse à tous les internautes est sans incidence. Le distributeur peut envisager de créer un site Internet afin de promouvoir ses ventes.
On peut dès lors se demander si le développement du commerce en ligne n’est pas susceptible de remettre en cause l’organisation traditionnelle des réseaux de distribution dans la mesure où, sur Internet, le commerçant s’adresse à l’ensemble des internautes. Son offre est désormais accessible à un consommateur résidant en dehors du secteur lui étant concédé.
Il convient de transposer la distinction traditionnellement établie entre vente active et passive afin de préserver l’exclusivité territoriale accordée aux distributeurs.
La Commission européenne emploie cette distinction. Ainsi, dans ses lignes directives, elle prend soin de préciser que de manière générale "le recours à Internet n’est pas considéré comme une forme de vente active (...) car c’est un moyen raisonnable d’atteindre tous les clients. Le fait qu’il puisse avoir des effets en dehors du territoire ou de la clientèle affectés à un distributeur est le résultat de cette technique, à savoir un accès facile à partir de n’importe quel lieu.
Si un client visite sur Internet le site d’un distributeur et prend contact avec ce dernier et si ce contrat débouche sur une vente, et aussi une livraison, il s’agit là d’une vente passive". Le promoteur d’un réseau de distribution exclusive ne pourrait par conséquent pas interdire à ses distributeurs de créer un site de vente en ligne.
La Commission ajoute enfin "dans la mesure où un site sur Internet n’est pas clairement conçu de manière à atteindre en premier lieu des clients exclusivement concédés à un autre distributeur, par exemple, en utilisant des bandeaux publicitaires ou des liens dans les pages de fournisseurs d’accès visant spécifiquement la clientèle concédée, ce site n’est pas considérée comme une forme de vente active".
Il convient de veiller à ce que les membres du réseau ne se livrent une concurrence active via Internet. Les distributeurs ne doivent pas prospecter la clientèle "attribuée" à un autre distributeur, il leur est par conséquent interdit d’adresser aux internautes demeurant sur le territoire réservé à un autre distributeur une publicité personnalisée. L’envoi de spamming[5] à des consommateurs résidant en dehors du territoire sur lequel le distributeur est habilité à commercer ses produits est prohibé.
Le distributeur devrait donc vérifier, préalablement à l’envoi d’un e-mail publicitaire, que l’internaute réside sur le territoire qui lui est concédé. L’exercice est en pratique délicat. L’adresse électronique de l’internaute peut être un élément déterminant : dans l’hypothèse où l’adresse s’achève par ".fr", on présume que la personne réside en France, bien que tel ne soit pas forcément le cas.
Le doute est plus important lorsque l’adresse se termine par un ".com" ou toute autre adresse sans appartenance géographique (.net, .biz, .org…) dans la mesure où on ne dispose dans ce cas d’aucune indication quant à la résidence de l’internaute. Pour éviter que l’incertitude ne subsiste, il faudrait inciter la mise en place de formulaires afin de recueillir des informations complémentaires sur l’internaute.
Le distributeur ne peut se voir reprocher de satisfaire à la demande exprimée par un client affecté à un autre distributeur. Le contrat de distribution ne peut pas interdire a priori à un distributeur de commercialiser ses produits via son site Internet.
La difficulté consiste évidemment à déterminer dans quel cas la vente en ligne peut être assimilée à une vente active. Plusieurs circonstances y président. Les langues employés sur le site peuvent constituer un indice. Le distributeur qui publie son site en japonais ou en danois, adopte une démarche active à l’égard de la clientèle résidant dans ces pays.
On peut, en effet, considérer que l’usage d’une langue peu usitée internationalement représente un moyen d’atteindre activement une clientèle réservée à un autre distributeur. A l’inverse, on ne peut reprocher à un distributeur d’exercer une concurrence active à l’égard des distributeurs britanniques parce qu’ils diffusent leur site en anglais.
Ce critère n’est donc pas forcément déterminant. C’est sans doute la raison qui a conduit la Commission européenne a considéré que " la langue utilisée sur le site ou dans la communication ne joue normalement pas aucun rôle".
La monnaie dans laquelle les prix sont affichés peut également être jugée déterminante.
Le fait que le site soit référencé dans des moteurs de recherche nationaux ou des sites portails spécifiquement destinés aux internautes résidant sur un territoire déterminé laisse à penser que le site a été conçu pour atteindre cette clientèle en particulier. De la même façon, l’utilisation de certains meta-tags ou mots-clés spécifiques en vue d’attirer des internautes vers le site peuvent amener à une conclusion identique.
D’autres critères peuvent être la présentation de l’offre tenant compte d’une cible déterminée si l’offre s’appuie sur les préférences "culturelles" de la cible qui ne ferait pas partie du territoire concédé. Un numéro gratuit d’assistance mis en place au travers du site et accessible aux ressortissants d’un Etat en dehors du territoire concédé peut également être un critère. Des publicités ou offres promotionnelles sur des sites étrangers au territoire concédé peuvent également laisser à penser qu’il s’agit d’une vente active.
On peut en déduire que le contrat de distribution exclusive régissant les relations entre le fournisseur et ses distributeurs ne peut interdire a priori aux membres du réseau de créer un site sur Internet et de faire de la publicité via Internet.
Dans l’hypothèse où une telle clause serait insérée dans le contrat, celui-ci a pour effet de restreindre la concurrence entre les distributeurs et son promoteur, l’accord ne pourra donc bénéficier d’une exemption. Les membres d’un réseau doivent donc être libres de réaliser un site sur Internet. Leur liberté n’est pas absolue, c’est pourquoi il est souhaitable d’insérer dans le contrat de distribution exclusive une clause aux termes de laquelle les distributeurs s’engagent à ne pas exercer une concurrence active à l’égard des autres distributeurs, y compris sur internet.
A défaut de respecter de cette obligation, la résiliation du contrat pourrait être prononcée et ce comportement sanctionné par l’instigateur du réseau.
C’est dans ces conditions que les réseaux de distribution exclusive pourront subsister sans ignorer les avantages que peut offrir la distribution sur Internet.
Les difficultés que suscitent l’intégration de la distribution à l’organisation traditionnelle de la distribution ne sont pas propres à la distribution exclusive.
Blandine Poidevin
Avocat
Contact : bpoidevin@jurisexpert.net
Tel : 03 20 21 97 18
Fax : 03 20 21 97 11
Avec la collaboration de Stéphanie De Buck
[1] Règlement C.E. n°2790/ 1999 de la Commission du 22 décembre 1999 concernant l’application de l’article 81§3 du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, JOCE, L336/21 du 29 décembre 1999.
[2] Article 4c du règlement précité.
[3] Article 4b du règlement précité.
[4] JOCE, C291 du 13 octobre 2000, paragraphe 51.
[5] Messages non sollicités par courrier électronique.