L’usurpation d’identité en ligne est un phénomène malheureusement bien connu aujourd’hui et que le droit conçoit et sanctionne depuis 2011. L’ampleur de cette infraction pénale toutefois ne décroit pas. Afin de pouvoir appliquer pleinement les mécanismes de protection prévus par le droit pénal, les juges doivent encore faire preuve d’imagination, notamment face aux réseaux sociaux qui sont autant de terrains d’action pour les auteurs de ces infractions. Récemment encore, avant toute condamnation pénale, le tribunal de grande instance de Paris, par une ordonnance de référé du 4 avril 2013, a fait injonction à Twitter de communiquer les données nécessaires à l’identification de l’auteur d’une telle usurpation.
En l’espèce, un faux compte avait été ouvert sur Twitter, reprenant l’identité d’une personne existant réellement. L’usager dont l’identité était reprise a donc formé un référé devant le tribunal de grande instance de Paris afin que Twitter supprime le compte litigieux, procède à son déférencement et communique les éléments nécessaire à l’identification de son auteur.
En réponse, le site social américain a effectivement supprimé le compte et procédé à son déférencement, avant même le rendu de l’ordonnance. En revanche, il prétextait que les données d’identification étaient stockées aux Etats-Unis pour ne pas les communiquer, à moins qu’une commission rogatoire internationale ne soit formée. Selon le Ministère des Affaires étrangères définit, la commission rogatoire internationale est une « mission donnée par un juge à toute autorité judiciaire relevant d’un autre Etat de procéder en son nom à des mesures d’instruction ou à d’autres actes judiciaires ».
En principe, le fait que les données soient stockées à l’étranger a pour conséquence que leurs sont appliquées les règles du pays où elles sont effectivement. En procédure pénale notamment, c’est ce principe qui prévaut. Cette question n’est pas nouvelle et le juges judiciaires y a été confronté plusieurs fois auparavant. En l’espèce, l’instance ne relevait que de la procédure civile, Twitter ne s’étant pas rendu coupable de l’usurpation d’identité mais appliquant seulement une rétention d’information. Le réseau social avait d’ailleurs déjà supprimé le compte litigieux.
Le juge des référés devait donc déterminer si l’infraction, du fait qu’elle est numérique, disparaissait avec la suppression du compte litigieux et de son référencement. En cas de réponse négative, un second problème de compétence se posait du fait du lieu où se trouvaient effectivement les données d’identification, nécessaire à la poursuite de l’auteur de l’infraction.
Le tribunal de grande instance a estimé en toute logique que bien que l’infraction avait disparu, la victime n’en était pas dépossédée de son droit au recours. La solution imposait alors à Twitter de communiquer les données nécessaires à l’identification de l’auteur de l’infraction. La nécessité d’une commission rogatoire internationale est, en résumé, ainsi écartée par le juge des référés.
Le principe de l’application territoriale du droit aux données stockées à l’étranger a dû être mis en balance par le juge avec le lieu de commission de l’infraction. Twitter contestait par ailleurs le fondement juridique de l’infraction dont le demandeur se revendiquait la victime, alors même que ce n’était pas l’objet du référé. En résumé, le juge des référés a fait primer le lieu de commission de l’éventuelle infraction (I). L’usurpation d’identité en ligne est soumise ensuite à un fondement juridique bien déterminée (II) et rappelé en filigrane dans l’ordonnance.
I - La compétence du juge des référés déterminée par le lieu de commission de l’infraction
La question du droit territorialement applicable aux données stockées à l’étranger pose plus largement une autre question qui est celle de l’effet des décisions de justice à l’étranger. Car sans exequatur bien souvent, une décision rendue dans un pays peut rester lettre morte et ne produire d’effet que de façon aléatoire. En l’occurrence, le juge cherche à éviter ce problème en rappelant l’inapplicabilité à l’espèce du principe de territorialité (A). La demande de Twitter de formation d’une commission rogatoire internationale a d’ailleurs été écarté sans pour autant réellement donné une réponse au problème de l’exequatur (B).
A - L’inapplicabilité du principe de territorialité du droit
En principe, le droit applicable à des données stockées à l’étranger est celui de l’Etat où elles se trouvent physiquement. Il en va ainsi par exemple en termes de procédure pénale. Il existe cependant des exceptions, comme dans le cas d’une perquisition, ainsi que le prévoit le deuxième alinéa de l’article 57-1 du code de procédure pénale : « s’il est préalablement avéré que ces données, accessibles à partir du système initial ou disponibles pour le système initial, sont stockées dans un autre système informatique situé en dehors du territoire national, elles sont recueillies par l’officier de police judiciaire, sous réserve des conditions d’accès prévues par les engagements internationaux en vigueur ».
Quant à l’usurpation d’identité sur les réseaux sociaux, la réponse de ces derniers est fréquemment celle du stockage à l’étranger de leurs données. Il s’agit d’ailleurs d’un moyen de défense utilisé plus largement. Ainsi, dans une instance contemporaine à celle du 4 avril 2013, datant du 24 janvier 2013, le tribunal de grande instance de Paris a également ordonné à Twitter de communiquer sous astreinte les données d’identification d’utilisateurs auteurs de hashtags antisémites. Face au refus de Twitter de s’exécuter, selon le même argument, Twitter est à nouveau assigné mais au pénal cette fois. Pour autant, dans l’affaire dont il s’agit ici, la suppression du compte litigieux et son déférencement ne sont pas suffisant et justifie l’injonction faite à Twitter de communiquer les données retenues car celles-ci sont nécessaire pour la victime afin qu’elle puisse assigner ensuite l’auteur du compte.
La solution retenue par le juge des référés trouve une explication également par le caractère d’urgence qui caractérise les procédures de référés. Une commission rogatoire internationale serait beaucoup plus longue à obtenir. De plus, depuis décembre 2012, Twitter dispose d’une filiale en France sous la forme d’une société par actions simplifiée. Il aurait été légitime d’y voir la possibilité d’une meilleure coopération entre les juridictions et le réseau social. Toutefois, l’assignation visait la société américaine, ce qui lui a sans doute permis de suivre cette argumentation, qui met à nouveau à jour le problème de l’exequatur des décisions de justice qui portent sur les sites étrangers.
B - L’exigence de l’exequatur
En l’espèce, ce n’est pas directement la demande qui est faite par Twitter puisque la société demande une commission rogatoire internationale mais la logique est similaire. La notion d’exequatur s’entendra ici de façon large. Le problème se pose de plus en plus souvent alors que les réseaux sociaux gagnent en popularité. Quel effet donner à une décision de justice rendue dans un pays alors qu’elle doit s’exécuter dans un autre pays où le droit est sensiblement différent ?
Le problème ne se pose d’ailleurs pas qu’en France. En avril 2013 par exemple, Google a été condamné au Japon pour des faits qui ne sont pas répréhensibles aux Etats-Unis. Il s’agit en l’espèce de la fonctionnalité de recherche semi-automatique dont résultaient des associations diffamantes, ce qui n’est pas condamné aux Etats-Unis. Les effets que peut produire une telle décision sont donc particulièrement incertains et le problème est très similaire dans le cas du référé contre Twitter quant à l’usurpation d’identité. Le juge du référé dans ce cas précis a contourné le problème en fondant sa compétence sur l’article 809 du code de procédure civile qui dispose qu’il peut prendre des mesures d’urgence pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Selon le juge, il n’est alors pas besoin d’une commission internationale rogatoire, l’infraction ayant eu lieu en France, par un utilisateur qui s’y trouve également.
L’ordonnance rejette aussi un autre argument de Twitter qui porte sur la qualification à donner aux conséquences de l’usurpation d’identité litigieuse. En effet, le groupe américain conteste le fait qu’il y ait diffamation en s’appuyant sur l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Le juge rejette utilement cet argument dans la mesure où il ne juge pas la réalité ou non de l’infraction, étant en référé. L’argument n’est d’ailleurs pas soulevé par le demandeur qui semble se fonder sur une autre disposition.
II - Les fondements juridiques de l’usurpation d’identité face aux technologies de l’information
Le propre de l’usurpation d’identité est qu’elle peut causer un préjudice à plusieurs personnes différentes. D’une part, la victime dont l’identité est usurpée est évidemment la première visée mais également celles trompées. De même, plusieurs conséquences peuvent découler de l’usurpation, et pas seulement la diffamation invoquée par Twitter, qui d’ailleurs relève d’une qualification pénale différente. L’article 226-4-1 du code pénal définit cette infraction comme une atteinte à la personnalité dont il convient de se prémunir (A), qui se distinguent d’autres infractions pourtant similaires (B) et pouvant conduire à un trouble à l’ordre public.
A - Atteinte à la personnalité
L’article 226-4-1 du code pénal définit l’usurpation d’identité comme une atteinte à la personnalité et une atteinte à la vie privée : « le fait d’usurper l’identité d’un tiers ou de faire usage d’une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. Cette infraction est punie des mêmes peines lorsqu’elle est commise sur un réseau de communication au public en ligne ». Il se distingue alors de l’article 9 du code civil qui protège plus largement le droit au respect de la vie privée, qui autorise d’ailleurs des mesures de référé en matière civile.
La définition de l’usurpation d’identité de l’article 226-4-1 est issue de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI 2) du 14 mars 2011. Elle englobe alors l’usurpation au moyen de technologies numériques. Il est clair cependant que pour soit appliquée cette disposition, encore faut-il que l’auteur de l’infraction soit identifié, d’où l’intérêt de l’injonction faite à Twitter. De plus, l’article nous apprend que le préjudice de l’infraction est double puisqu’il porte d’une part sur la personne dont l’identité est usurpée, et d’autre part sur les personnes qui croient avoir affaire à la vraie personne.
En réponse au phénomène, la HADOPI soumet plusieurs conseils pour se prémunir repris en partie aussi par la CNIL. Ils trahissent l’importance que peut prendre ce genre d’infraction sur la toile et l’utilité pour les pouvoirs publics de l’appréhender. En l’espèce, Twitter invoquait non pas l’usurpation d’identité mais la diffamation, comme voie d’exception. Toutefois, sans chercher à qualifier l’infraction puisque ce n’était pas son rôle, le juge des référés rappelle la distinction qui doit être faite entre les deux infractions, bien qu’elles peuvent dans une certaine mesure se recouper.
B - Usurpation d’identité et distinction d’autres infractions
Dans la mesure où l’usurpation d’identité consiste essentiellement à prendre l’identité d’un autre, l’infraction peut se recouper avec une autre mais dont il faut la distinguer, à savoir la diffamation ou l’injure. C’est l’argument que tente d’avance Twitter pour échapper aux prétentions du demandeur à l’instance. Cependant le juge rappelle dans son ordonnance que la diffamation et l’usurpation d’identité doivent être différenciées, bien qu’une usurpation d’identité puisse tout à fait déboucher sur un cas de diffamation ou d’injures.
En l’espèce, le juge cantonne le débat sur le seul fait que l’identité du requérant est utilisée par un tiers sans autorisation. Le contenu des propos tenus sur le profil usurpé importent peu. Il est vrai en revanche que si les propos avaient été injurieux ou diffamatoires, le requérants auraient pu former sa demande sur un autre fondement, bien que ce ne soit pas nécessaire puisque l’usurpation d’identité suffit à prononcer l’injonction en l’occurrence.
Liens connexes :
Mauvaise réputation : se protéger (http://www.murielle-cahen.com/publications/p_mauvaise_reputation.asp)
L’usurpation de l’identité numérique : les réseaux sociaux sur la sellette (http://www.murielle-cahen.com/publications/usurpation-facebook.asp)
L’usurpation d’identité sur internet (http://www.murielle-cahen.com/publications/usurpartion-identit%C3%A9.asp)
Liens externes :
Définition de la commission rogatoire internationale : www.diplomatie.gouv.fr
LOPPSI 2 : www.legifrance.gouv.fr
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