Juin 2000
Poker, Black Jack, paris sportifs ou loteries ont fait leur apparition sur plusieurs centaines de sites web. Alors que de tels jeux font l’objet d’interdictions ou de strictes réglementations dans un grand nombre de pays, ils constituent sur internet un véritable fonds de commerce ouvert à tous.
Les casinos on line fleurissent généralement à l’ombre des législations conciliantes de certains paradis fiscaux. Ils sont gérés par des sociétés domiciliées aux Bermudes, à Curaçao ou à Antigua, mais leur mise en ligne les rend accessibles dans des pays où la législation en vigueur prohibe de telles activités.
Le design feutré et la musique d’ambiance tendent à rappeler aux cyber-parieurs le dépaysement des salles de Las Vegas ou de Monaco. Chacun, quel que soit son lieu de résidence et même s’il est mineur, peut, à toute heure et pour des montants illimités, effectuer des paris avec sa carte de crédit. Pour les exploitants de ces services, la méthode est juteuse. Elle permet, pour un faible coût, de contourner la stricte réglementation liée à l’ouverture et à la gestion d’un casino.
Or, si les jeux sont virtuels, les risques ne le sont pas. Comment s’assurer qu’un site web hébergé dans une île exotique paiera les gains acquis lors des paris ? Comment être certain que les logiciels reconstituant le principe du hasard des tapis verts et des bandits manchots sont fiables ? Comment protéger les 15.000 parieurs qui ont volontairement demandé, en France, leur interdiction de casino afin de mettre un terme à leur dangereuse passion du jeu ? Comment lutter contre une nouvelle forme potentielle de blanchiment d’argent ? Le contrôle des Etats disparaît, entraînant avec lui une manne fiscale non négligeable.
Aux Etats-Unis, des poursuites fédérales ont été engagées en 1998 à l’encontre de personnes exploitants des sites de paris sportifs, sur le fondement de la " Federal Wire Communication Act " (18 U.S.C. 1084). Cette loi ne visant que la prohibition des paris sportifs, une proposition de loi fédérale interdisant les jeux de hasard sur internet a été adoptée par le Sénat en juillet 1998. Cette loi, qui prévoit des peines de prison et d’amende tant pour les organisateurs que pour les joueurs, qu’ils soient américains ou étrangers, doit désormais être votée par la Chambre des Représentants.
En France, les jeux font l’objet d’une réglementation complexe, dont il convient de vérifier les conditions d’application à internet.
La loi dispose que " le fait de participer (…) à la tenue d’une maison de jeux de hasard où le public est librement admis, même lorsque cette admission est subordonnée à la présentation d’un affilié, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 200.000 F d’amende " (1). Un site web proposant des jeux de hasard peut-il être assimilé à une " maison de jeux " ? La doctrine et la jurisprudence interprètent cette notion comme étant tout établissement fixe où le jeu est pratiqué avec le triple caractère d’habitude, de continuité et de permanence. Or, on retrouve dans les casinos virtuels cette triple condition, l’établissement fixe étant le serveur hébergeant les pages html du site.
Par ailleurs, la loi condamne les opérations effectuées " par la voie du sort " ou dues " au hasard ", et plus généralement, prohibe " les loteries de toutes espèces " (2). Selon la doctrine et la jurisprudence, on considère que le délit de loterie est constitué lorsque quatre éléments sont réunis : l’offre au public du jeu, l’espérance d’un gain pour le participant, l’intervention, même partielle, du hasard et le sacrifice pécuniaire du participant. Ainsi, pour ne pas être illégale, la mise en ligne sur internet de concours, jeux ou paris sportifs doit échapper à au moins une de ces quatre conditions.
C’est donc au cas par cas qu’il faut vérifier que le délit de loterie est constitué. Concernant le sacrifice pécuniaire du participant, une remarque s’impose en raison de la jurisprudence développée avec les loteries par téléphone, courrier ou minitel. Il a en effet été considéré que si le participant conserve à sa charge les frais de communication téléphonique, timbres postaux ou connexion télématique, il y a un sacrifice pécuniaire (3).
Or, la durée de connexion à un site web a généralement un coût proportionnel pour l’internaute, sauf dans le cas des abonnements par câble ou des VPN (Virtual Private Network).
La loi française est-elle applicable aux sites web hébergés à l’étranger ?
En matière de loteries (loide 1836), la loi vise comme responsables les " auteurs, entrepreneurs ou agents des loteries françaises ou étrangères, ou des opérations qui leur sont assimilées ". Ce texte permet donc d’incriminer non seulement les responsables du serveur et les auteurs qui sont situés en France, mais également ceux qui sont situés à l’étranger.
En matiere de jeux de hasard (loi de 1983), le etxte n’envisage pas expressément la possibilité de poursuivre les responsables de casinos situés à l’étranger. Cependant, l’article L.113-2 du Code pénal donne compétence aux juridictions françaises dès lors qu’un fait constitutif de l’infraction a été commis en France. C’est ainsi, à propos de textes à caractère révisionniste, que le Tribunal de Grande Instance de Paris a considéré, en se fondant sur cet article, que " dès lors que le texte incriminé, diffusé depuis un site étranger, a été reçu et vu dans le ressort territorial du tribunal de Paris, ainsi qu’il ressort de l’enquête, celui-ci est compétent pour connaître de la poursuite " (4).
La réglementation des jeux en France semble parfaitement applicable à internet et pourrait permettre la condamnation de responsables situés à l’étranger. Restent les traditionnelles difficultés d’identification des responsables, souvent protégés par des montages de sociétés et des hommes de paille, et d’exécution des décisions rendues à l’encontre de ces mêmes responsables.
Il est probable que comme dans d’autres domaines liés à internet, la responsabilité soit alors recherchée vers certains intermédiaires " techniques " qui, en connaissance de cause, permettent la diffusion des sites litigieux. Une autorégulation des acteurs d’internet pourrait aussi limiter la diffusion de ces sites dans les pays où ils sont interdits. On peut notamment penser que si les responsables de casinos réels étaient autorisés à opérer sur internet, ils œuvreraient pour que les sites exotiques de jeux ne soient pas promus sur le réseau.
Sylvain Staub
Avocat à la Cour
sstaub@salans.com
(1) : Loi n°83-628 du 12/07/1983 relative aux jeux de hasard.
(2) : Loi modifiée du 21/05/1836 portant prohibition des loteries.
(3) : Par ex. : TGI Lille, 8ème ch., 21/04/1995.
(4) : TGI Paris, 17ème ch. Corr., 13/11/1998.