Le positionnement payant : une publicité qui doit s’afficher comme telle
Au mois de juillet 2001, aux États-Unis, l’association de consommateurs Commercial Alert a saisi la Federal Trade Commission (FTC) afin qu’elle se prononce sur la pratique du positionnement payant. La requête exprime clairement les dangers du positionnement payant en tant que publicité qui ne s’avoue pas, c’est pourquoi on l’étudiera dans un premier temps. Ensuite, on verra qu’une telle action serait certainement favorablement accueillie en France, car les règles communautaires et internes proscrivent la publicité clandestine.
> La plainte de Commercial Alert (1)
Selon l’association Commercial Alert, les OR Altavista, AOL, DirectHit, iWon, Looksmart, Microsoft et Terra Lycos, sont coupables de publicité trompeuse et deceptive car les sites qui apparaissent en tête des résultats ont payé pour y figurer. Les moteurs de recherche ne se contentent plus de faire apparaitre des bannières ou bandeaux de publicité en haut de leur page : ils intègrent des liens commerciaux dans leurs listes mais il est impossible de savoir si un site a payé pour y figurer ou si sa présence sur la liste est le résultat d’une recherche réelle.
À la différence de Google, qui présente clairement certains liens comme des " sponsored links ", rien ne sépare les résultats " éditoriaux " des résultats commerciaux dans ces OR. Les règles fédérales qui bannissent la publicité clandestine, et l’" infommerciale " sont dès lors violées. Malgré de nombreuses mises en demeure, aucun d’eux n’a pourtant accepté d’afficher clairement son mode de fonctionnement.
Ainsi, l’Internaute est abusé car il est habitué à l’objectivité des résultats et au classement par ordre classique de pertinence. Ces publicités influencent le comportement du consommateur en le poussant à l’achat, et altèrent les fonctions cruciales de filtre et de " porte d’accès à la connaissance et au savoir " que les OR devraient jouer.
Voici donc en substance la teneur de la plainte. Parfois rédigée dans le registre dramatique, elle a le mérite de poser clairement le problème : l’internaute est trompé par la confusion entre la publicité et le contenu des résultats des OR comprenant du positionnement payant. Quelle serait l’avenir d’une telle requête de l’autre coté de l’Atlantique ?
> Le positionnement payant est une forme de publicité
Le Larousse définit la publicité comme :
" l’ensemble des moyens déployés pour faire connaître une entreprise, pour vanter un produit ".
L’article 2 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 relatif à la publicité et au parrainage audiovisuel (2) précise que :
" constitue une publicité toute forme de message télévisé diffusé contre rémunération ou autre contrepartie en vue de promouvoir la fourniture de biens ou de service ".
La directive " Commerce électronique " du 8 juin 2000 (3) énonce dans son article 2 :
" communication commerciale : toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, des biens, des services, ou l’image d’une entreprise, d’une organisation ou d’une personne ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou exerçant une profession réglementée. Ne constituent pas en tant que telles des communications commerciales :
- les informations permettant l’accès direct à l’activité de l’entreprise, de l’organisation ou de la personne notamment un nom de domaine ou une adresse de courrier électronique ;
- les communications relatives aux biens, aux services, ou à l’image de l’entreprise, de l’organisation ou de la personne élaborées d’une manière indépendante, en particulier lorsqu’elles sont fournies sans contrepartie financière. "
Le premier alinéa semble exclure de cette définition les OR. En fait, les mots " en tant que telles " permettent d’éviter que tout lien ne soit a priori considéré comme une communication commerciale. Bien qu’aucun texte ne concerne précisément les pratiques commerciales des OR, ceux qui pratiquent le positionnement payant sont certainement des supports de publicités car ils font la promotion de biens ou de services, en échange d’une contrepartie financière, fournie par un annonceur, le site positionné. L’apparition des résultats de la recherche ne dépend que du paiement du placement et non de l’application d’un quelconque algorithme de classement.
D’ailleurs, nombre d’entre eux qualifient leurs clients d’annonceurs. On peut aussi rappeler que les liens de Google fournis par ses partenaires pratiquant le paid placement sont présentés comme des sponsored links . Les tribunaux ont par ailleurs une conception ouverte : " le critère essentiel de la publicité réside dans le fait qu’il puisse véhiculer un message commercial, qu’elle qu’en soit la forme " (4), qui laisse facilement présager de la qualification qu’ils donneraient aux liens payants s’ils étaient saisis. On peut citer, à titre d’exemples qu’un annuaire (5) ou un guide de restaurants ont déjà été considérés comme de la publicité.
> L’interdiction de la publicité clandestine
La qualification de publicité ou communication commerciale admise, l’obligation première qui en découle est très nette dans plusieurs textes : la publicité doit se présenter comme telle. Elle doit être clairement identifiable par un consommateur d’attention moyenne. Cette obligation de transparence est en quelque sorte un principe international de la publicité, consacré à l’article 12 du Code International des Pratiques Loyales en Matière de Publicité :
" la publicité doit pouvoir être nettement distinguée comme telle, quels que soient la forme et le support utilisé "
Le décret de 1992 précité dispose quant à lui : " la publicité clandestine est interdite ", tandis que la loi de 1986 sur l’audiovisuel énonce dans son article 43 al. 2 que " les messages publicitaires doivent être mentionnés comme tels ". L’article 6a de la directive sur le Commerce électronique, d’ailleurs repris en des termes quasiment identiques par le projet de loi LSI (6), est lui aussi extrêmement clair : " la communication commerciale doit être clairement identifiable comme telle ".
Par conséquent, tout OR faisant apparaître dans ses résultats des adresses ou liens vers des sites Internet qui ont payé pour y figurer doit indiquer de manière claire la nature publicitaire et commerciale de ces liens ou adresses, de telle manière que l’internaute ne puisse en aucune façon être trompé quant à leur nature. En aucun cas le prestataire de Positionnement payant ne doit jouer sur une quelconque ambiguïté entre le contenu issu des recherches objectives de par sa fonction d’outil de recherche, et les véritables publicités qu’il propose en vendant son espace. Le flou ne peut être son fonds de commerce.
Il devra assumer l’aspect de catalogue de publicités qu’il prendra alors car, s’il contrevient à cette règle, son responsable peut se voir sanctionné pénalement, au même titre que le directeur de la publication d’un magazine qui n’aurait pas fait précéder un article de publicité de la mention " publicité " ou " communiqué ", le réalisateur d’un film qui procèderait au placement de produits ou celui d’une émission " infommerciale " (7), pour publicité clandestine. L’aspect des prestataires de positionnement payant risque de devoir changer car en l’état actuel des choses, la distinction n’est pas flagrante.
Il convient d’ajouter qu’au délit de publicité clandestine s’ajoutera celui de publicité trompeuse lorsque l’annonceur a réservé une position sur des mots clés avec lesquels son activité réelle n’a aucun rapport. En effet, selon l’article L.121.1 du Code de la consommation, est interdite " toute publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations de nature à induire en erreur, lorsque celles-ci portent sur (la nature) des biens ou services qui font l’objet de la publicité. " Un lien dirigeant vers un site vendant des clubs de golf s’affichant lorsque l’internaute effectue une recherche sur le mot " Tennis " peut tromper l’internaute moyennement avisé, lorsque ce lien est intégré aux résultats de la recherche. Il en serait autrement s’il prenait l’aspect d’un bandeau publicitaire...
Certains sites n’ont pas hésité à acheter une position privilégiée pour des recherches sur des marques avec lesquelles ils ne sont pas liés, dans le seul but d’augmenter leur audience. Cette pratique évoquée plus haut, le position squatting, a déjà fait l’objet d’une plainte8 déposée par la société Mark Nutritional, Inc. contre quatre outils de recherches (Overture, FindWhat, Altavista, Kanoodle) devant la Cour de San Antonio au Texas au mois de février 2002. Le requérant, propriétaire de la marque Body Solutions, demande au juge de condamner les OR à réparer 440 millions de dollars de dommages et intérêts sur les fondements de la concurrence déloyale et de la contrefaçon de marque.
Lorsqu’on sollicitait " Body Solutions " dans ces OR, une liste de sites de concurrents de MNI apparaissait, et le site officiel de la marque n’était pas mentionné. De nombreuses marques françaises subissent les mêmes torts, c’est pourquoi on s’intéressera au problème du position squatting et on examinera les moyens dont la marque dispose pour se défendre contre ce nouveau genre d’atteintes.
Jean ANDRE
jean.andre@droit-multimedia.org
1 Un résumé de la plainte est disponible sur <http://www.sfgate.com>
: Andrew Quinn, " Internet search engines charged with deception ", 16 juillet 2001.
2 On rappellera ici que le Web est actuellement assimilé un service de communication audiovisuelle. La loi du 30 septembre 1986 dispose en son article 1 : " on entend par communication audiovisuelle toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de télécommunications, de signes, de signaux, d’écrits, d’image, de son ou de messages de touts nature qui n’ont pas le caractère d’une correspondance privée ".
3 Directive n°2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (JOCE n° L 178, 17 juillet 2000) : disponible sur Foruminternet.org, <http://www.foruminternet.org/documents/textes_europeens/lire.phtml?id=35>.
4 CA Rennes, réf., 30 mars 2000 : JCP ed. E 2000, n°48, p.1902, n°22 Obs Vivant.
5 CA Paris, 16 décembre 1997.
6 Le projet LSI prévoit d’insérer un article L.43-10-2 dans la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication dispose : " Toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de télécommunication publique en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit également permettre d’identifier la personne pour le compte de laquelle est réalisée. "
7 la pratique de l’infommerciale est très sévèrement sanctionnée par le CSA.