par Blandine Poidevin, avocat, et Virginie Smits, juriste en droit communautaire
Les places de marché électroniques peuvent être définies comme un espace de rencontres virtuelles entre acheteurs et vendeurs lesquels vont pouvoir faire part de leurs offres et de leurs demandes respectives de produits et de services dans le but de conclure un contrat. Ces places de marché désignent, en fait, des transactions commerciales qui s’exécutent par l’intermédiaire d’Internet. Deux questions juridiques sont soulevées par celles-ci : d’une part, l’application du droit de la concurrence aux places de marché, d’autre part, la responsabilité de ces places de marché.
Le droit de la concurrence et les places de marché
Les places de marché se développent de manière rapide et ne cessent d’augmenter. C’est parce que ces places de marché regroupent plusieurs entreprises et qu’il y a des risques de voir se développer des effets anticoncurrentiels dans ce nouveau secteur, que s’est posée la question de savoir si le droit de la concurrence était applicable aux places de marché.
Aujourd’hui, même si la jurisprudence est rare, même si le législateur n’est pas encore intervenu pour donner un cadre juridique uniforme à ces dernières, les règles du droit de la concurrence leur seront applicables de manière intégrale, mais sans faire l’objet d’aucun aménagement particulier.
A ce jour, on constate que les autorités communautaires semblent plutôt favorables aux développements des places de marché, parce qu’elles représentent un apport fondamental pour l’économie, et, parce qu’elles procurent souvent un avantage concurrentiel bénéfique. Cependant, les autorités communautaires sont amenées à contrôler les modalités de fonctionnement mais également, les structures de ces places de marché au regard du droit de la concurrence.
Le contrôle des modalités de fonctionnement de la plate-forme au regard du droit de la concurrence.
Les places de marché reposent sur le principe de confidentialité, l’échange de certaines informations sensibles peut être considéré comme anticoncurrentiel. Par exemple, le fait pour des entreprises d’échanger certaines informations sur les prix pourrait entraîner un alignement des comportements, ce qui est contraire au droit de la concurrence. Cependant, pour apprécier les risques en matière d’échange d’information il faut tenir compte du nombre d’acteurs présents sur le marché ou encore il faut regarder s’il s’agit d’informations historiques ou consolidées.
Les autorités communautaires vont également être amenées à contrôler les conditions d’accès aux places de marché lesquelles doivent être objectives, uniformes et non discriminatoires, et ce d’autant plus que la place de marché a une position significative. Elle a une position significative, au sens communautaire lorsqu’elle est incontournable, c’est-à-dire qu’il faut obligatoirement passer par cette dernière pour pouvoir bénéficier des même avantages que ceux qui y sont déjà et que ces avantages ne pourraient bénéficier à ceux qui se sont vus refuser l’accès à la place de marché ou qui se sont vus imposer des conditions discriminatoires.
Les autorités communautaires vont également contrôler les parts de marchés détenues par les différents acteurs sur un même marché. Même si aucun seuil n’a été fixé, il y aura contrôle si ces dernières dépassent 15%.
Le contrôle des structures des places de marché au regard du droit de la concurrence ( et plus particulièrement au regard du droit des concentrations et du droit des ententes).
Les places de marché et la notion de concentration : un contrôle a priori.
Pour que la place de marché soit considérée comme une concentration, il est nécessaire que cette dernière remplissent trois critères :
Cette structure doit constituer une entité autonome et durable.
Les sociétés fondatrices doivent exercer un contrôle conjoint sur la structure.
L’opération de concentration doit avoir une dimension communautaire.
Si ces trois conditions sont remplies, il y aura alors obligation de notifier la structure à la Commission Européenne dans la semaine qui suit l’accord de création de la place de marché. La place de marché sera suspendue pendant toute la durée d’examen de l’opération de concentration.
Les places de marché et la notion d’entente : un contrôle a posteriori.
Pour que la structure soit considérée comme une entente, plusieurs critères doivent être remplis :
L’opération ne doit pas être une concentration.
Les fondateurs de la structure doivent être des concurrents actuels ou potentiels.
L’exploitation de la place de marché est susceptible de produire des effets anticoncurrentiels.
Ici, il n’y a pas d’obligation de notification. La notification est conseillée dès lors qu’il y a un risque de restriction de concurrence. Contrairement au droit des concentrations, dans l’hypothèse où il y aurait notification, l’opération ne sera pas suspendue pendant le déroulement de la procédure de contrôle de l’entente.
En matière d’entente, des exemptions peuvent être accordées (ce qui signifie que des ententes peuvent être autorisées). C’est le cas si l’entente est source d’un progrès économique ou lorsqu’elle crée un nouveau concurrent…Cependant, l’exemption sera accordée, si l’entente réserve aux utilisateurs une part équitable du profit, que l’entente ne contienne pas de restriction de concurrence non indispensable à la mise en œuvre de l’accord en question, et que l’entente ne permette pas l’élimination de la concurrence pour une partie des produits en cause.
La responsabilité et les places de marché
La place de marché a pour objectif de mettre en relation les vendeurs et les acheteurs. Cette dernière peut-elle voir sa responsabilité engagée en cas par exemple d’inexécution du contrat passé entre le vendeur et l’acheteur ? Ici, tout dépendra de la qualification donnée à la place de marché : elle sera assimilée à un courtier, à un commissionnaire, à un mandataire.
Si l’on considère que la place de marché est un courtier, dans ce cas sa fonction se limitera uniquement à mettre en relation les vendeurs et les acheteurs. La place de marché se retirera au moment de la conclusion du contrat entre les différents protagonistes qu’elle aura rapprochés. Par conséquent, la responsabilité de la place de marché agissant en qualité courtier ne pourra pas en principe être engagée, à moins qu’il ne soit démontré que cette dernière ait commis une faute.
Si l’on considère que la place de marché est un commissionnaire, dans cette hypothèse, la place de marché sera considérée comme un commerçant agissant en son nom propre et pour le compte d’un commettant. Etant donné que le commissionnaire traite en son nom propre, il est donc parti à l’opération qu’il conclut. Par conséquent, il pourra voir sa responsabilité engagée à l’égard des tiers avec lesquels il aura contracté.
Si l’on considère que la place de marché est un mandataire, dans ce cas, il revient à la place de marché de négocier et de conclure le contrat de vente au nom et pour le compte de son mandant. Le mandataire peut voir sa responsabilité engagée vis à vis des tiers lorsque ces derniers auront été victime de délit ou de quasi-délit commis par lui-même.
Blandine Poidevin, avocat
bpoidevin@jurisexpert.net
Virginie Smits, juriste en droit communautaire